Jeudi 4 novembre 2010.
8h20.
Dans 10 minutes, sonnera la reprise
des cours après les vacances de la Toussaint.
Le téléphone
de Marina n’arrête pas de vibrer. À l’autre bout de la ville, devant la grille
du collège, Drucilla pianote aussi vite que ses deux pouces le lui permettent.
-
T ou ?
-
Tu fais koi ?
-
Réponds !!!
C’est bien la
première fois que Marina ne sait pas quoi répondre à sa meilleure amie.
-
Je ne vais pas venir aujourd’hui, tape-t-elle
finalement sur son clavier.
-
T malade ?
Marina aurait
préféré avoir une gastro, une grippe, ou bien une panne de réveil ou
d’oreiller, comme on disait. Elle allait rater le premier jour d’école après
les vacances. Elle avait horreur de manquer les cours. Il suffisait qu’elle
soit absente pour qu’il se passe quelque chose d’extraordinaire dans la classe.
L’an dernier, quand elle avait dû être opérée de l’appendicite, elle avait
chargé Drucilla de surveiller le beau Dorian qui était le sujet de longues
conversations entre les deux filles. Il ne fallait absolument pas qu’une autre
profite de son éloignement forcé pour sortir avec lui. Ce scénario catastrophe
accéléra son rétablissement.
Contrairement
à la majorité des élèves, Marina attendait la fin des vacances et s’en
réjouissait. Elle les trouvait toujours trop longues et se sentait bien mieux
au collège qu’à la maison. Le pire étant
les grandes vacances où tout était mort de chez mort. Son père ne voulait pas
la voir traîner dans les rues ni passer ses journées à parcourir les centres
commerciaux de la région en profitant de son titre de transport dézoné comme le
faisaient ses copines « Encore en vacances, ils ne foutent rien à
l’éducation nationale ». Voilà le genre de réflexions auxquelles se
livrait son père. S’il n’y avait eu que ça…
Une fois chez
elle, Marina passait la majorité de son temps enfermée dans sa chambre à lire. Ce
premier mercredi de novembre, elle était plongée dans une histoire de vampires.
Elle lisait tout ce qu’elle trouvait à ce sujet. Aussi passionnée qu’elle soit,
elle avait pourtant dû s’endormir un moment puisque la voix de ses parents la
fit sursauter. Ils discutaient sur le
palier. Discutaient… ou plutôt se disputaient. Une lettre séparait ces deux
mots. Une lettre qui changeait pourtant beaucoup. Ce n’était pas la première
fois que le ton montait. Loin de là. Marina n’en pouvait plus de la pression et
de la tension qu’elle vivait au quotidien. Elle se couchait fréquemment la peur
au ventre, la tête coincée entre ses deux oreillers, les doigts enfoncés dans
ses oreilles comme elle faisait quand elle était petite et que l’orage
grondait. Quand elle serait trop
fatiguée, le sommeil l’emporterait sur l’angoisse.
-
Mais pourquoi tu ne le quittes pas ?
demandait régulièrement Marina à sa mère.
-
Ce n’est pas aussi simple. Tu ne peux pas comprendre.
- Ça c’est sûr, je ne comprends pas ! avait une
fois lâché Marina avant de claquer la porte de sa chambre en faisant trembler
les murs et sursauter le chat de la maison.
En cette
veille de rentrée, la dispute tourne autour d’une histoire de chèque. Marina s’apprête
à allumer son lecteur MP3 pour s’isoler lorsqu’un bruit se fait entendre contre
son mur. Les cris eux se sont tus. Marina se lève, déverrouille sa porte et
voit sa mère au sol.
-
Maman, ça va ?
-
J’ai glissé, affirme sa mère.
-
Quand est-ce que vous allez arrêter ? Ne la
touche pas !
-
De quoi elle se mêle, celle-là ?
-
Celle-là n’en peut plus des vos histoires. Vous
êtes aussi fous l’un que l’autre.
-
Répète un peu. Allez, vas-y. Répète !
-
Alain, laisse-là. Retourne dans ta chambre,
Marina.
-
Non, tu restes là, ordonne-t-il à sa fille tout
en la retenant par le bras.
-
Lâche-moi, tu me fais mal espèce de
salaud ! Marina hurle toute la rage contenue en elle depuis des années et
le repousse avec une force insoupçonnée de la part d’une adolescente d’1m50.
Le temps
semble suspendu alors que tout se joue pourtant en quelques secondes. Son corps
vacille, hésite puis dévale l’escalier avant de s’arrêter net dans une position
sans équivoque.
-
Mais qu’est ce que tu as fait ? Qu’est ce
que tu as fait ? C’est pas vrai.
À l’heure où
ses camarades choisissent avec soin la tenue qu’ils porteront le lendemain,
terminent un devoir repoussé les deux semaines précédentes, bouchonnent sur la
route du retour dans la voiture familiale la tête collée contre la vitre, les
yeux mi-clos et la musique dans les oreilles pour éviter le dialogue avec les
parents, Marina articule : « je suis un fait divers ».