mardi 29 mars 2016

Je suis un fait divers



Jeudi 4 novembre 2010.
8h20.
Dans 10 minutes, sonnera la reprise des cours après les vacances de la Toussaint.

Le téléphone de Marina n’arrête pas de vibrer. À l’autre bout de la ville, devant la grille du collège, Drucilla pianote aussi vite que ses deux pouces le lui permettent.

-          T ou ?
-          Tu fais koi ?
-          Réponds !!!

C’est bien la première fois que Marina ne sait pas quoi répondre à sa meilleure amie.

-          Je ne vais pas venir aujourd’hui, tape-t-elle finalement sur son clavier.
-          T malade ?

Marina aurait préféré avoir une gastro, une grippe, ou bien une panne de réveil ou d’oreiller, comme on disait. Elle allait rater le premier jour d’école après les vacances. Elle avait horreur de manquer les cours. Il suffisait qu’elle soit absente pour qu’il se passe quelque chose d’extraordinaire dans la classe. L’an dernier, quand elle avait dû être opérée de l’appendicite, elle avait chargé Drucilla de surveiller le beau Dorian qui était le sujet de longues conversations entre les deux filles. Il ne fallait absolument pas qu’une autre profite de son éloignement forcé pour sortir avec lui. Ce scénario catastrophe accéléra son rétablissement.

Contrairement à la majorité des élèves, Marina attendait la fin des vacances et s’en réjouissait. Elle les trouvait toujours trop longues et se sentait bien mieux au collège qu’à la maison.  Le pire étant les grandes vacances où tout était mort de chez mort. Son père ne voulait pas la voir traîner dans les rues ni passer ses journées à parcourir les centres commerciaux de la région en profitant de son titre de transport dézoné comme le faisaient ses copines « Encore en vacances, ils ne foutent rien à l’éducation nationale ». Voilà le genre de réflexions auxquelles se livrait son père. S’il n’y avait eu que ça…

Une fois chez elle, Marina passait la majorité de son temps enfermée dans sa chambre à lire. Ce premier mercredi de novembre, elle était plongée dans une histoire de vampires. Elle lisait tout ce qu’elle trouvait à ce sujet. Aussi passionnée qu’elle soit, elle avait pourtant dû s’endormir un moment puisque la voix de ses parents la fit sursauter.  Ils discutaient sur le palier. Discutaient… ou plutôt se disputaient. Une lettre séparait ces deux mots. Une lettre qui changeait pourtant beaucoup. Ce n’était pas la première fois que le ton montait. Loin de là. Marina n’en pouvait plus de la pression et de la tension qu’elle vivait au quotidien. Elle se couchait fréquemment la peur au ventre, la tête coincée entre ses deux oreillers, les doigts enfoncés dans ses oreilles comme elle faisait quand elle était petite et que l’orage grondait.  Quand elle serait trop fatiguée, le sommeil l’emporterait sur l’angoisse.

-          Mais pourquoi tu ne le quittes pas ? demandait régulièrement Marina à sa mère.
-          Ce n’est pas aussi simple. Tu ne peux pas comprendre.
-          Ça c’est sûr, je ne comprends pas ! avait une fois lâché Marina avant de claquer la porte de sa chambre en faisant trembler les murs et sursauter le chat de la maison.

En cette veille de rentrée, la dispute tourne autour d’une histoire de chèque. Marina s’apprête à allumer son lecteur MP3 pour s’isoler lorsqu’un bruit se fait entendre contre son mur. Les cris eux se sont tus. Marina se lève, déverrouille sa porte et voit sa mère au sol. 

-          Maman, ça va ?
-          J’ai glissé, affirme sa mère.
-          Quand est-ce que vous allez arrêter ? Ne la touche pas !
-          De quoi elle se mêle, celle-là ?
-          Celle-là n’en peut plus des vos histoires. Vous êtes aussi fous l’un que l’autre.
-          Répète un peu. Allez, vas-y. Répète !
-          Alain, laisse-là. Retourne dans ta chambre, Marina.
-          Non, tu restes là, ordonne-t-il à sa fille tout en la retenant par le bras.
-          Lâche-moi, tu me fais mal espèce de salaud ! Marina hurle toute la rage contenue en elle depuis des années et le repousse avec une force insoupçonnée de la part d’une adolescente d’1m50.

Le temps semble suspendu alors que tout se joue pourtant en quelques secondes. Son corps vacille, hésite puis dévale l’escalier avant de s’arrêter net dans une position sans équivoque.

-          Mais qu’est ce que tu as fait ? Qu’est ce que tu as fait ? C’est pas vrai.

À l’heure où ses camarades choisissent avec soin la tenue qu’ils porteront le lendemain, terminent un devoir repoussé les deux semaines précédentes, bouchonnent sur la route du retour dans la voiture familiale la tête collée contre la vitre, les yeux mi-clos et la musique dans les oreilles pour éviter le dialogue avec les parents, Marina articule : « je suis un fait divers ».