San Sebastián, dans
les années 2010.
Rosa venait
tout juste de fêter ses 79 ans. Elle était veuve depuis de nombreuses années.
Fort heureusement, elle était bien entourée par ses 3 enfants et 7
petits-enfants. Il était rare qu’elle passe une journée sans la visite de l’un
ou l’autre ou qu’elle ne reçoive un coup de fil pour prendre de ses nouvelles.
Depuis la rentrée dernière, Nerea, sa petite-fille étudiante à l’université du
Pays basque, partageait son appartement. Elle avait toujours eu une relation
particulière avec sa grand-mère. Lorsque Nerea était âgée de cinq ans, elle
avait été confiée à Rosa alors que sa mère avait dû être hospitalisée une bonne
partie de sa grossesse. L’enfant était un vrai rayon de soleil et Rosa revivait
à travers elle ses années de jeune mère.
Nerea
s’accorde une pause bien méritée dans ses révisions. En fin de journée, elle
ira courir le long de la baie de la Concha. Elle poussera sûrement jusqu’au
sommet du mont Urgull où elle prendra le temps d’admirer le panorama dont elle
ne se lassera jamais. Elle connaît le coin depuis qu’elle est toute petite et
pourtant, elle note à chaque fois un détail différent. Puis, elle redescendra
et retrouvera quelques amis étudiants. Ensemble, ils referont le monde autour
de pintxos. En attendant, elle s’installe dans le canapé recouvert d’un plaid
sur lequel un chien roux et frisé est étalé de tout son long. Ce dernier,
prénommé Sherlock, est le fidèle et vieillissant compagnon de sa grand-mère
depuis un peu plus de 15 ans. Nerea avait trois ans lorsque le chiot tout
pataud est arrivé. Elle se souvient l’avoir accusé de l’une de ses bêtises. Le
« c’est pas moi, c’est Sherlock » n’avait pas pris et elle avait été
punie pour avoir incriminé l’animal qui aurait eu du mal à déboucher un tube de
peinture et à dessiner au mur à l’aide d’un pinceau. « La prochaine fois,
travaille mieux tes excuses, ma fille » avait lancé son père en ayant du
mal à garder son sérieux. Pour Nerea, Sherlock est indissociable de cet
appartement. L’animal dresse une oreille lorsque la jeune fille se saisit de la
télécommande coincée en partie sous son flanc.
-
Désolée Sherlock, s’excuse-t-elle en tirant pour
libérer l’objet.
Sherlock
s’agite un peu pour exprimer son mécontentement, il souffle comme un humain
excédé et se repositionne pour mieux se rendormir. Ses ronflements ne tardent
pas à reprendre.
-
Je ne peux pas le croire… Tu entends ça,
Yaya ? C’est incroyable.
-
Comment ? Je n’entends rien quand on me
parle à travers les pièces comme ça. Je deviens sourde comme un pot. On est
tout de même mal fichu ; les oreilles ne cessent de grandir pour entendre
de moins en moins.
La jeune femme
augmente le volume de la télévision. Rosa revient de la cuisine deux tasses de
café et quelques biscuits en équilibre sur un plateau aux couleurs effacés par
le temps.
-
Que disais-tu, ma chérie ? Je n’ai
absolument rien entendu.
-
Regarde ! C’est complètement hallucinant.
Rosa s’arrête
juste à côté de sa petite-fille et reste debout. Le plateau toujours dans les
mains, elle avance la tête pour déchiffrer le texte inscrit sur un bandeau en
bas de l’écran de télévision : « Scandale des enfants volés ». L’un
des deux journalistes en plateau prend la parole d’un ton enjoué qui détonne
avec le sujet traité et annonce : « Dans un instant, ne manquez pas
le témoignage exclusif de Joaquina, cette espagnole qui a retrouvé sa mère
biologique soixante ans, oui soixante ans, répète-il en détachant exagérément
les syllabes, après avoir été enlevée à sa naissance ». Il se tourne vers
sa collègue qui opine du chef en ajoutant : « On se retrouve après la
publicité avec cette incroyable histoire. À tout de suite. » À l’écran,
l’image se fige un instant sur un portrait de la fameuse Joaquina qui, avec son
visage rond et ses grands yeux fait beaucoup moins que ses soixante-ans. Puis
la publicité est lancée.
-
Pff ! Qu’est-ce que ça peut être racoleur
cette émission, s’énerve Nerea. Tu ne trouves pas, Yaya ?
Nerea sent
soudainement quelque chose de chaud sur son pied. Du café brûlant s’écoule
depuis le plateau toujours entre les mains de sa grand-mère puis, les deux
tasses viennent percuter le sol. Réveillé par le bruit, Sherlock, toujours
fringant malgré son âge, bondit du canapé et se régale déjà des biscuits
tombés. Sitôt que sa truffe entre en contact avec le café, il est surpris par
la chaleur dégagée et s’ébroue pour se débarrasser de cette mauvaise sensation.
Sa grand-mère d’habitude si à
cheval sur la propreté et les bonnes manières de Sherlock ne dit pas un mot.
Elle a la bouche ouverte et le teint livide.
-
Yaya, que se passe-t-il ? Viens,
assieds-toi, s’inquiète-t-elle en la débarrassant du plateau auquel elle semble
devoir s’agripper pour rester debout. Une fois sa grand-mère assise, elle file
à la cuisine et revient avec un grand verre d’eau.
- Tiens, bois doucement et allonge-toi. Tu veux
que j’appelle un médecin ? Elle attrape l’éventail posé sur la table basse
et l’agite devant le visage de Rosa.
Nerea n’a
jamais vu sa grand-mère dans cet état. Elle a toujours eu une santé de fer,
toujours pleine d’énergie à tel point qu’il fallait parfois lui dire de
s’arrêter et de se reposer un peu. Elle n’avait que faire des « à ton âge,
il faut faire attention ». Plus on vieillissait, et plus on vous traitait
comme une enfant. Nerea se sent démunie et son anxiété se traduit pas une salve
de questions. En guise de réponse, Rosa pose son index droit sur sa bouche et
prononce un chut à peine audible.
Nerea ne la quitte pas des yeux. Une larme coule le long de la joue de son
aïeule et elle serre ses mains pour calmer ses tremblements.
-
Non ! N’éteins pas, s’exprime enfin Rosa
alors que sa petite-fille s’approche du poste de télévision.
-
Yaya… Tu…
-
Je veux entendre ce que cette femme va dire,
précise-t-elle au moment où les deux journalistes reprennent l’antenne.
-
Très bien. Comme tu veux, Yaya.
Le plateau de
télévision très coloré laisse place à un intérieur très sombre. À l’écran, deux
femmes se font face. La caméra fait un gros plan sur Joaquina qu’une
journaliste présente. Et son récit commence.
Je suis le cinquième enfant de mes parents,
après deux garçons et deux filles. Du moins, c’est ce que j’ai cru pendant
pratiquement toute ma vie. Lorsque je suis née, ma mère avait 42 ans et mon
père dix de plus. C’était leur dernière chance de pouponner. La plus jeune de
mes sœurs était âgée de 8 ans et l’aîné de mes frères avait déjà 14 ans.
Je ne ressemblais ni à mes parents, ni à mes
aînés. J’étais petite et ronde et j’avais la peau et les yeux très foncés. Mes
frères et sœurs étaient des copies les uns des autres. Je me considérais comme
le vilain petit canard de la fratrie. Lorsque j’interrogeais mes parents sur
cette différence physique, on me disait que j’étais le portrait craché d’une
grand-mère que je n’avais jamais connue et dont il ne subsistait que quelques
clichés pris lors de son mariage. Difficile de percevoir la moindre
ressemblance entre l’enfant que j’étais alors et cette aïeule que je trouvais
très belle au demeurant. En raison de l’écart qu’il y avait entre mes frères et
sœurs et moi, je me retrouvais souvent seule. Nous n’avions pas les mêmes jeux.
Seule ma plus jeune sœur me considéra un temps comme sa poupée avant de se
lasser de jouer à la petite maman. Tous m’enviaient ma situation de petite
dernière qui, à leurs yeux, me conférait la place de favorite dans le cœur de
nos parents. Je ne pense pas avoir été leur préférée, simplement, les grands
étant déjà autonomes, ils avaient plus de temps à me consacrer. J’ai eu une
relation privilégiée avec mes parents. Je pouvais tout leur dire et ils me
laissaient beaucoup de liberté.
-
Quand et comment avez-vous appris la
vérité ?
Je me souviens d’une dispute avec mon frère
Roberto. Nos cris s’étaient conclus par un « de toute façon, tu as été
trouvée dans une poubelle » de sa part. Notre père avait entendu cette
phrase et avait flanqué à mon frère la seule gifle de sa vie. Ses mots d’enfant
en colère avaient fait leur chemin dans ma petite tête. Et si c’était
vrai ? Ma mère avait su me rassurer. Elle m’avait prise sur ses genoux et raconté
sa grossesse, les coups de pied que je lui donnais et la joie de mon père
lorsqu’il a appris que la maison allait accueillir un nouvel enfant. Elle avait
sorti l’album familial et m’avait montré des photos d’elle enceinte de moi,
mais quelque chose ne collait pas. Ma mère faisait bien plus jeune sur ce
cliché que sur celui de la page suivante où elle me tenait dans ses bras. Si
l’on suivait sa logique, il n’était censé y avoir que quelques mois d’écart
entre les deux photos. Soit ma naissance lui avait valu un coup de vieux
fulgurant, soit il y avait bel et bien un souci. Lorsque je lui en ai fait la
remarque en lui disant que la photo avait peut-être été inversée avec la
grossesse de la sœur qui me précédait, elle m’avait répondu qu’elle ne pouvait pas
se tromper, qu’elle portait la robe qu’elle avait spécialement tricotée quand
elle avait appris qu’elle m’attendait. Comme j’étais la dernière, il n’y avait
pas de doute possible, d’après elle. J’y ai cru.
J’ai perdu mon père à l’âge de 16 ans et ma
mère il y a maintenant dix ans. Peu de temps avant sa mort, alors qu’elle était
très malade, elle a enfin avoué que j’avais été adoptée. « Quand tu as eu
l’âge de comprendre, j’ai voulu t’en parler, ton père était contre. Nous nous
sommes beaucoup disputés à ce sujet. Tu étais une enfant si câline, une telle
joie dans nos vies. J’ai eu peur que tu souffres trop. Peur de te perdre. Il
était trop tard pour remuer le passé. Le silence était plus simple que la
vérité. J’ai perdu plusieurs bébés avant toi. Ton arrivée parmi nous était un
petit miracle. »
Je
suis tombée des nues en apprenant que celle que j’avais appelé Maman était en
réalité une étrangère. Même si ça ne changeait pas grand-chose au fait que je
n’ai jamais manqué de rien et surtout pas d’amour, mais réaliser à cinquante
ans que l’on ne sait pas d’où l’on vient est un choc énorme. Une gifle qui fait
basculer nos certitudes et qui n’est pas facile à vivre autant pour soi que
pour son entourage. Et J’étais encore loin de connaître toute la vérité. Lorsque
je lui ai demandé ce qu’elle connaissait de mes parents biologiques elle m’a
simplement dit qu’elle savait que j’étais née le 5 mai 1950 dans une maternité
madrilène, conformément à ce qui était écrit sur mon acte de naissance.
-
Mais vous avez fini par retrouver votre mère
biologique.
-
Oui, assez récemment.
La mention « à tout de suite »… apparaît à
l’écran.
Après cinq bonnes minutes de
publicité, l’émission reprend. Une troisième personne est maintenant assise
dans la pièce. La journaliste s’adresse à cette dernière :
-
Bonjour Teresa. Comment allez-vous ?
-
Bien. Merci.
-
Je précise pour nos téléspectateurs que vous
êtes la mère de Joaquina.
Précision inutile tant la ressemblance entre les deux femmes
est frappante.
-
Vous avez accepté de venir témoigner avec votre
fille sur notre chaîne et nous vous en remercions sincèrement. Je crois que
vous avez beaucoup à nous dire aujourd’hui.
-
Oui. C’est exact.
-
Je vous en prie. C’est à vous.
Teresa s’éclaircit la voix et se redresse sur son siège.
J’ai accouché en mai 1950. Le 5 mai 1950. Le
05.05.50. 3 fois 5. J’y ai vu un signe. Cet enfant me porterait bonheur.
J’étais seule à ce moment. Je veux dire par là que j’étais une mère
célibataire. J’avais tout juste dix-huit ans. Le père du bébé m’avait laissée
en apprenant que je portais son enfant et mes parents m’avait mise dehors en me
traitant de « honte de la famille ». C’est donc seule et paniquée que
je m’apprêtais à devenir mère. Malgré la situation compliquée, j’aimais
l’enfant depuis le jour où j’ai appris que j’étais enceinte et j’étais décidée
à tout faire pour que sa vie soit belle. L’accouchement a été très long ;
j’aurais aimé avoir quelqu’un auprès de moi ce jour-là. Une sage-femme ou une
infirmière à peine plus âgée que moi a tenté de me réconforter et de me
soutenir durant ces longues heures. Je me souviens encore de la douceur de son
regard tandis que ma main broyait la sienne dans la douleur. Puis, j’ai entendu
mon bébé crier. On m’a annoncé que c’était une fille et on l’a emmenée pour les
premiers soins. J’ai fini par m’endormir, épuisée. À mon réveil, j’ai réclamé
ma fille. Je voulais la tenir. Sentir la chaleur de son corps contre le mien,
voir son visage. On m’a dit que ce n’était pas possible pour le moment sans
ajouter plus d’explications. Bientôt, on est venu m’annoncer que ma fille était
morte, que son cœur, trop fragile, avait lâché. Comment était-ce
possible ? Neuf mois sans aucun problème et voilà qu’on me disait que tout
était fini.
Le personnel de la maternité m’a dit
« ce sont des choses qui arrivent ». Après tout, qu’est-ce que je
connaissais de la vie à mon âge ? J’ai aussi entendu l’une d’elles qui tentaient maladroitement de me
consoler en me disant : « Vous êtes jeunes. Vous en aurez
d’autres ». Comme s’il avait été question d’un objet que l’on pouvait jeter
et remplacer à l’envi. J’ai demandé à voir le corps de mon enfant. « Il ne
vaut mieux pas » m’a-t-on répondu. Lorsque j’ai abordé la question de
l’enterrement, on m’a dit que l’hôpital s’occupait de tout. J’ai laissé faire.
J’étais très mal. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Je leur faisais
confiance. Ces gens-là étaient des médecins, des infirmières ou des
religieuses. Des gens de confiance, des femmes de foi. Ceux que l’on nous cite
en exemple depuis l’enfance.
Par la suite, j’ai cru devenir folle. Au
fond de moi, je ne voulais pas croire que mon bébé était mort. Pendant des
années, je l’ai imaginée et comparée à toutes les petites filles que je
croisais. Je m’asseyais sur un banc dans un parc et j’étais cette mère tenant
les deux bras d’une petite fille et l’encourageant à faire ses premiers pas ou
cette autre poussant une fillette riant aux éclats sur une balançoire. Ces
filles et ces vies auraient pu être miennes.
J’ai repris des études. J’ai rencontré
Eduardo. Je me suis mariée et j’ai eu d’autres enfants. Deux garçons. Je n’ai
jamais parlé de mon premier bébé, pas même à Eduardo qui ne comprenait pas les
terribles angoisses après les accouchements. Il avait peur que je ne sois pas
faite pour être mère, j’étais simplement terrifiée de les perdre, eux aussi. Je
n’ai jamais cessé de penser à ma fille et encore davantage les 5 mai de toutes
ces années. Elle était ma blessure secrète. Et puis un jour, je reçois un coup
de fil et j’apprends que ma fille n’est pas morte à la naissance et qu’elle me
cherche depuis des années. J’ai d’abord cru à une mauvaise blague. Mon mari
plaisante en disant que ce jour-là j’ai pris un coup de jeune.
-
Le choc a dû être terrible…
Je crois que le plus terrible est de se dire
que des milliers d’enfants ont été ainsi volés à leur famille. Parce que les
parents étaient des opposants de Franco ou parce que la mère était une femme
seule comme je l’étais. On disait que c’était pour le bien de l’enfant, qu’il
aurait un meilleur avenir dans une famille plus « convenable ». Il
faut bien dire qu’il s’agissait au départ d’une volonté idéologique des
franquistes. C’est ensuite un véritable trafic qui s’est mis en place dans tout
le pays. Médecins, sages-femmes, religieuses, notaires… y ont participé. Des
documents officiels ont été falsifiés. Et le scandale a continué bien après la
fin de la dictature, pendant des dizaines d’années. Jusque dans les années 80,
dit-on. L’État n’a pas bougé au nom de la loi d’amnistie du franquisme votée en
1977. Depuis quelques années, les langues commencent à se délier et le silence
à se fissurer. Rendez-vous compte, aujourd’hui seules quelques dizaines
d’enfants ont retrouvé leur véritable famille ! Combien ignore qu’on leur
a volé leur enfant ? Combien ont quitté ce monde sans avoir jamais su la
vérité ? Certains enfants ne savent pas qu’ils ont été adoptés, que leur
vie a commencé par un mensonge. Combien de vies gâchées ? On parle de
300 000 enfants concernés. J’ai serré ma fille dans mes bras pour la
première fois alors qu’elle avait soixante ans. J’ai 78 ans, il s’en est fallu
de peu. Sans la détermination de ma fille, les associations qui se démènent et
sans ce test ADN, j’aurais fini ma vie sans pouvoir la connaître. Je ne pourrai
jamais rattraper le temps perdu avec ma fille mais j’estime avoir eu de la
chance de la retrouver.
Je n’oublierai jamais
le 5 mai, le jour de sa naissance ni le jour où elle est née pour la seconde
fois.
La caméra fait un gros plan sur
la main de Joaquina qui attrape celle de Teresa. La journaliste fait le geste
d’essuyer une larme sous son œil gauche et remercie les deux femmes. Le
reportage se termine sur de tendres regards échangés entre la mère et la fille.
-
Mais c’est horrible ! s’écœure Nerea qui
est restée figée pendant tout le reportage.
-
Vraiment horrible, renchérit Rosa.
Rosa n’a pas
non plus oublié ce 5 mai 1950. Elle était là le jour où Teresa a accouché.
C’était elle qui avait tenté de la rassurer et qui lui avait tenu la main. Elle
avait environ le même âge que la jeune mère. Elle avait tenu le bébé de la
jeune femme. Depuis très jeune, elle avait eu envie de faire ce métier qu’elle
considérait comme le plus beau du monde. Ce 5 mai 1950, cela faisait à peine
une semaine qu’elle travaillait dans cette maternité madrilène. Le bébé de
Teresa faisait donc partie des premiers qu’elle avait vu naître et soignés. La
jeune mère, venue seule, l’avait beaucoup émue. Elle l’avait trouvé très
courageuse. Elle était toujours là quand on avait annoncé à Teresa que son bébé
était mort. Après s’être occupée d’une autre jeune mère dans une chambre située
à quelques mètres, elle était revenue voir Teresa. Elle l’avait trouvée en
larmes, le médecin venait de lui annoncer que son bébé était mort. « Je
veux voir ma fille. Laissez-moi la voir », avait-elle imploré.
-
Mais… était-elle intervenue complètement
abasourdie par la tournure que prenaient les choses.
Le médecin avait coupé net les interrogations de Rosa.
-
Allons, laissons Madame se reposer, maintenant.
Sortie de la chambre, Rosa avait
demandé des explications. Que s’était-il passé ? Pourquoi dire à cette
femme que son bébé était mort alors que ce n’était pas le cas.
-
C’est mieux ainsi. Ne vous mêlez pas de ça,
Rosa.
La mère était seule. Elle ne ferait pas d’histoires.
Rosa avait
quitté la maternité pour ne plus jamais y revenir. Le lendemain, elle faisait
sa valise et quittait définitivement Madrid. Aujourd’hui, sous les yeux de sa
petite-fille médusée de découvrir l’ampleur du scandale, le passé revenait
frapper à sa porte. Lorsque Joaquina était apparue à l’écran, elle avait su.
Malgré le passage du temps, il y a des visages qui ne s’oublient pas.