Les portes de l’ascenseur se referment juste après son passage. Elle a réussi avec peine à faire entrer sa valise, trop lourde pour un petit bout de femme comme elle, et son sac de voyage dans l’appareil exigu et sombre. À plus de deux, on y est à l’étroit. Même seule, elle s’y sent toujours oppressée. Elle évite le plus possible d’emprunter ces machines. Plus jeune, elle était restée coincée dans l’une d’elles. La lumière s’était éteinte. Elle avait tambouriné de toutes ses maigres forces sur la porte en criant des « au secours » et des « à l’aide » à n’en plus finir. L’incident avait duré à peine 5 minutes mais l’avait profondément marquée.
Aujourd’hui,
là dans cet ascenseur, elle se sent bien. Elle sourit. Elle sait que c’est le
début d’une autre vie, un nouveau départ. Elle ferme les yeux pour savourer
l’instant jusqu’à ce qu’une légère secousse lui signale que le rez-de-chaussée
est atteint. Les portes s’ouvrent.
- Bonjour Blandine, vous partez en voyage ?
demande Marthe, la concierge de l’immeuble qui cumule aussi le titre de
personne la plus curieuse du quartier.
-
Oui, un grand besoin d’air…
-
Et votre gentil mari, il n’est pas avec
vous ?
-
Il me rejoindra directement là-bas.
-
Ah… d’accord. Bonnes vacances. À bientôt.
-
Merci
Marthe. Au revoir.
Elle range ses
bagages dans le coffre de la voiture et jette un dernier regard en direction de
l’immeuble. Au sommet des marches, Marthe agite la main. Pour un peu, elle lui
enverrait des baisers, pense Blandine amusée.
À la sortie de
la ville, elle s’arrête à la station-service faire le plein. Elle est prête
pour rouler pendant des heures.
Elle aime se
retrouver seule. C’est l’occasion de faire le point sur sa vie. Les kilomètres
défilent ainsi que les années. Elle repense à sa rencontre avec Michel. C’était
il y a cinq ans. Déjà. Elle se fit lors d’un congrès médical, lui était
dermatologue, elle secrétaire. Gêné par l’oubli d’un bagage dans le train qui
l’avait amené sur les lieux du congrès, il lui avait demandé où il pouvait
téléphoner. Son cœur avait fait un bond en croisant le regard de la jeune
femme. Elle avait un iris d’un bleu profond et l’autre vert clair. Il n’aurait
peut-être pas l’occasion de la revoir. Il lui laissa sa carte de visite. Il
n’avait rien à perdre. Blandine le rappela après l’avoir laissé mariner trois
longues semaines. C’était la première fois qu’il agissait ainsi, mais ce qu’il
avait ressenti simplement en la regardant était si intense qu’il ne pouvait en
rester là. Dans le train du retour, il pensa à ce film qu’il avait vu, trois ou quatre ans auparavant au cinéma, dans
lequel Ludovic Cruchot, alias Louis de Funès était littéralement électrisé par
sa rencontre avec Josépha.
Très
vite, Michel l’avait demandé en mariage. Blandine n’aurait pu être plus
heureuse. Ses amies étaient terriblement jalouses que la perle rare ait éclos
si près d’elles.
-
Michel
est tellement gentil et beau...
-
Il n’aurait pas un frère, par hasard ?
Blandine était
flattée d’entendre ces compliments sur celui qu’elle considérait comme l’homme
de sa vie. Michel était l’homme parfait.
Du moins, il
le fut pour un temps. Lorsque Blandine ne put lui donner d’enfants, le discours
changea. Elle avait fait les examens, cela ne venait pas d’elle. Michel avait
explosé, traitant les médecins d’incapables. Un comble en étant lui-même
médecin.
Ça ne pouvait
pas être de son fait. Il avait épousé une femme incapable d’enfanter. Dès lors,
il ne la considéra plus de la même façon.
Lorsqu’elle
évoquait la situation du bout des lèvres à ses amies ou à sa mère, elle entendait :
-
Tu as de
la chance au moins il ne te trompe pas !
-
Si
seulement mon Gérard était encore de ce monde…
Son entourage
ne voulait pas la croire. En public ou en famille, Michel redevenait celui
qu’elle avait aimé. Attentif, serviable, drôle et beau. Toujours aussi beau. Il
était difficile de voir que derrière cette belle enveloppe se cachait un autre
homme. Il avait cassé un nombre incalculable de choses dans l’appartement. Un
matin, il s’était coupé en marchant sur un morceau de verre, témoin d’une
colère de la veille. Ce jour-là, il porta la main sur elle pour la première
fois. On se souvient toujours des premières fois. Elle avait espéré que ce
serait la seule et unique. Hélas.
Le plus terrible était la souffrance
psychologique. Les bleus, les marques finissaient par disparaître.
Elle aurait pu
simplement partir, mais non elle savait qu’il la retrouverait et ce, où qu’elle
aille. Elle était coincée. Il lui ferait payer l’affront. On ne le quittait
pas. Elle ne voulait plus de cette vie à deux. D’ailleurs, l’expression
« vie à deux » n’avait plus aucun lieu d’être.
Tout cela
était désormais derrière elle. La veille au soir, elle lui avait servi un verre.
Il ne s’était pas méfié. Il avait toujours eu un penchant pour l’alcool. Elle
avait caché son sourire de satisfaction lorsqu’il avait bu d’une traite. Une
fois écroulé sur le lit, il avait été facile de le mettre hors d’état de nuire.
Il semblait dormir la tête enfouie dans l’oreiller. À côté de lui, sur le
dessus de la table de nuit, bien en évidence, se trouvaient des boîtes de médicaments vides
ou presque ainsi qu’un verre dans lequel subsistaient quelques larmes d’un
vieux whisky. Coincée sous le verre, une feuille sur laquelle Michel avait tapé
à la machine des mots expliquant son geste.
Elle avait
fermé les volets de l’appartement et la porte des 70m2 qui avaient
constitué sa prison. Peu importe ce qui lui arrivait maintenant. Désormais,
elle était libre. Ses bras tendus sur le volant laissaient apparaître les bleus
d’une récente dispute. Cette fois, il n’y en aurait plus d’autres.
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