Je m’étais inscrite sur un site de rencontres après l’échec de cette
histoire que je croyais être la bonne. Elle s’était finalement terminée d’un
commun accord mais avec une blessure qui semblait m’atteindre davantage que
celui que j’ai appelé « chéri » pendant plusieurs années. Je n’avais rien à
perdre alors autant essayer.
Depuis l’avènement de ce genre de sites, je
pensais, comme beaucoup, que c’était bidonné, que personne ne trouvait l’amour
par ce moyen-là. J’avais beau être fleur bleue, je n’allais pas croire à ces
chimères. Si les choses étaient aussi simples, il n’y aurait plus un seul
célibataire.
Après la rupture, j’avais aussi changé de région profitant d’une proposition
de mutation opportune. Finie la province, je rejoignais la capitale !
Paris, la ville romantique par excellence mais aussi, d’après une étude de
l’Insee, capitale de la solitude. Très encourageant ! 600 000 parisiens
vivent seuls et plus particulièrement des hommes entre 30 et 59 ans. 600 000
rien qu’à Paris ? Dans cette masse, mon petit 37 devrait pouvoir trouver
chaussure à son pied avant d’en avoir un dans la tombe. Puisque rencontrer ces
fameux célibataires à Paris n’était finalement pas si facile, je me suis
décidée à m’inscrire sur « RealLove », le meilleur site en la matière. En deux
clics, mon profil était créé et avec lui l’accès à des milliers de pages. Dans
cet océan des possibles, il allait falloir éviter les psychopathes, les obsédés,
les mythos, j’en passe et des meilleurs. Et mes débuts ne laissaient rien
présager de bon. Le premier message reçu via le tchat était d’un certain
Apollon1124. Je supposais donc que les pseudos Apollon1 à Apollon1123 étaient
déjà pris. Mon Dieu, les gens manquent-ils donc à ce point d’imagination ?
Au regard de sa photo, il n’avait rien d’un Apollon ! Bon, ok, j’avais dit
que je ne cèderai pas aux sirènes d’une plastique vantée par une photo mais
j’avais aussi dit que moi vivante, on ne me prendrait jamais sur un site de
rencontres. Alors, bon… La proposition de ce premier interlocuteur était pleine
de fautes et le contenu me donnait l’impression d’être en plein cœur d’un
sketch des Inconnus parodiant « Tournez Manège ». Je n’ai pas répondu. Le
lendemain, il y a aussi eu Bogoss18, Gigolo69 et DTC99982. Avec tout ça je
pouvais sûrement remplir ma grille de loto, mais l’argent ne fait pas le
bonheur. Après plusieurs jours et quelques conversations aussi absurdes les
unes que les autres, je commençais à me dire que tout cela n’était qu’une perte
de temps. Il y avait une page de témoignages de personnes qui s’étaient
rencontrées grâce au site. Certains n’avaient discuté que quelques heures avant
de se voir « en vrai », d’autres avaient préféré la jouer « rien ne sert de
courir » et mis plusieurs mois avant de sauter le pas. Certains s’étaient
mariés, avaient eu des enfants, preuve on ne peut plus réelle qu’il y avait un
au-delà du virtuel. Une alerte me sort de mes rêveries en me signalant qu’un
certain « RomainL » souhaite discuter avec moi. Enfin ! Pas de pseudo
loufoque. Il n’avait pas de photos sur son profil mais je ne pouvais pas le lui
reprocher puisque je n’avais toujours pas téléchargé la mienne. Je ne saurais
dire pourquoi mais cet homme m’attirait et sans photo, ni contact visuel cela
passait avant tout par l’alchimie des mots. Nous discutions régulièrement
depuis environ deux semaines. Nous avions fixé une première rencontre pour dans
quatre jours, après mon retour de déplacement. Il m’écrivait de longs messages
que je pouvais consulter n’importe où grâce à mon smartphone. Le plus marquant
dans cette histoire fut sans doute celui-ci :
Il est temps que l’on se voit. Je commence à t’imaginer partout. D’ailleurs,
là il y a une femme assise en face de moi dans un café. Elle a les yeux rivés
sur l’écran de son téléphone et un sourire se dessine sur ses lèvres
lorsqu’elle pianote sur son clavier. Elle a des yeux qui rendraient fous
n’importe quel homme sensé et un sourire… Je ne peux pas m’empêcher de
l’observer et de me dire que ça pourrait très bien être toi mais à l’heure qu’il
est tu dois déjà être dans ta chambre d’hôtel à plus de 800 km de Paris et je
dois arrêter de t’imaginer partout, tout le temps. Tu vas rire ! Le
serveur vient de se prendre les pieds dans les roulettes de la valise de la
jeune femme. Il lui a renversé un plateau entier de boissons colorées et
odorantes sur sa veste blanche étincelante. Elle a poussé un cri puis ramassé
son téléphone qu’elle avait lâché de surprise et s’est assurée qu’il
fonctionnait toujours. Elle est surprenante, elle vient d’éclater de rire là où
d’autres se seraient offusqués de la maladresse de ce pauvre serveur. Je crois
que je suis en train de tomber sous le charme, reviens vite avant que je ne
perde totalement la raison !
Après avoir lu ce message, j’ai levé les yeux et j’ai souri. Cet homme qui
me regardait avec insistance depuis mon entrée dans le café avait cessé d’être
un inconnu. Le hasard fait parfois bien les choses ou plutôt la compagnie
aérienne devrais-je dire ! Mon vol avait été annulé, j’avais pris un taxi
pour retourner chez moi en attendant de prendre le premier avion, le lendemain.
Finalement, en chemin, j’avais changé d’avis et demandé à ce qu’il m’arrête
devant ce café place Saint-Michel. Et il y était aussi, en face de moi. Mais je
ne lui ai rien dit, je n’ai pas réagi. J’ai patienté jusqu’à la date de notre
vraie rencontre. J’ai gardé la surprise. Autant jouer le jeu jusqu’au bout.
Nous nous sommes donnés rendez-vous devant l’hôtel de ville. Il m’a dit mais
comment te reconnaitrai-je ? Je lui ai dit : « Tu me verras et tu
comprendras ». Ce jour-là, il est arrivé avant moi. J’ai vu son regard se
transformer à mesure que je me dirigeais vers lui. D’abord interrogateur, je
l’ai vu froncer les sourcils avant qu’il ne parte dans un rire que j’ai
aussitôt partagé. Cela ne faisait que commencer.
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