dimanche 10 février 2013

Jeu de dupes



       Je vous écris de ma cellule. Une histoire qui a mal tourné. Vous allez tout savoir, ne vous en faites pas. Je vous demande simplement un peu de patience. Vous voyez ces faits divers qui occupent une place infime dans les journaux comme pour être lus et aussi vite oubliés ? Demain, vous y verrez un bref moment de ma vie qui pourtant va la bouleverser à jamais. J’étais un homme à la vie plutôt banale, sans histoires jusqu’à ce 18 avril… la Saint Parfait, ironie du sort. Je suis rentré chez moi plus tôt que prévu après une absence de quelques jours en raison de mon travail. J’ai tout de suite remarqué les bagages dans l’entrée. J’ai trouvé ma femme affairée dans le séjour, mon fils en train d’enfiler son blouson et ma fille, la laisse du chien enroulée autour du poignet. J’ai eu l’impression de pénétrer dans le décor d’une pièce de théâtre qui se déroulait sans moi, alors que j’en étais le comédien principal. Puisque personne ne semblait remarquer ma présence, j’ai bêtement demandé :
-Vous partez quelque part ?
Ma femme s’est retournée, un peu surprise mais finalement peu déstabilisée par ma présence. Sans prendre de gants, elle m’a répondu :
-Nous deux, c’est fini. J’ai rencontré quelqu’un d’autre.
 Je suis resté muet quelques secondes avant que le message reçu ne soit analysé et compris.
-Et tu comptais me l’annoncer quand ? Après mon retour dans une maison vide ? Je peux savoir qui est cet homme ? Comment as-tu pu me… Les enfants montez dans vos chambres, maman et moi devons parler. Je te rappelle que nous sommes mariés. La fidélité, ça ne te dit rien ?
-Je demande le divorce et les enfants vivront avec moi.
-Il n’en est pas question !
Ce à quoi j’ai ajouté :
- Tu n’oseras jamais !
-On parie ? M’a-t-elle défié avant de se diriger vers l’escalier menant aux chambres des enfants.

       J’ai parié. Je n’aurais pas dû jouer. J’ai perdu… tout perdu. Je ne pouvais tout simplement pas imaginer ma femme avec un autre homme et encore moins mes enfants vivant, riant et grandissant avec un autre. C’était ma famille et personne n’avait le droit de me l’enlever. Il est vrai que je me suis souvent absenté pour mon métier mais je ne pense pas avoir été un mauvais mari, ni même un mauvais père. Tout s’est accéléré. J’ai vu rouge. J’ai saisi ce bibelot horrible, cadeau d’un client suédois de ma femme, qui traînait depuis bien trop longtemps sur la tablette du radiateur de l’entrée. J’ai levé mon bras droit et j’ai frappé avec une rage folle que je ne pensais pas avoir en moi. Un seul coup. Je voulais l’empêcher de franchir cette limite qui signait la fin d’une vie que je pensais heureuse. Je voulais retarder son départ, essayer de lui faire changer d’avis. Un seul et unique coup.

      « Il tue sa femme alors que ses deux enfants sont à l’étage ». Voilà ce que vous lirez demain dans le journal. Les enfants, précisément, ne pas leur imposer cette image atroce de leur mère sans vie sur le sol. Ils seront bien assez vite confrontés à la dure réalité, autant leur épargner ces derniers instants d’insouciance. Déplacer le corps. Je suis monté en affichant un sourire de façade, de traître devrais-je dire.
-Tout s’est arrangé avec Maman ! Elle est partie régler quelques détails. Je vous emmène chez mamie et Maman passera vous chercher plus tard.

       Ils m’ont suivi jusqu’à la voiture où j’avais pris le temps d’installer les bagages. Je les ai déposés chez leur grand-mère sans vraiment donner de raison. En fallait-il vraiment une ? D’autant que depuis qu’elle était veuve, ses petits-enfants lui avaient redonné le sourire. Je les ai embrassés sachant que je n’allais pas pouvoir le faire avant longtemps. Je ne me suis pas retourné pour les saluer comme je le faisais d’habitude. Je sentais leurs petits yeux poser leur regard sur moi. Les miens étaient déjà pleins de larmes. Il y a quelques heures, ils avaient une mère, un père et sûrement un beau-père prêt à les accueillir. Ils étaient désormais orphelins de mère. Ils ne leur restaient qu’un père qu’ils détesteront ou pire qu'ils oublieront.

      J’aurais pu partir en cavale comme on le voit dans ces films hollywoodiens à l’image du « Fugitif » dans lequel Harrison Ford est seul contre ceux qui l’accusent d’avoir assassiné sa femme. Sauf que lui est innocent… Je me suis rendu à la police. A quoi bon lutter puisque j’avais déjà tout perdu.

     Voilà, c’est ici que l’histoire s’arrête. Maintenant, vous savez tout. Ou presque. Il manque un détail à mon récit. Peut-être le plus important. J’ai évoqué mon métier prenant sans toutefois préciser ce que je faisais réellement. Vous ne l’avez pas deviné ? Je vous laisse encore une chance. Non, vraiment ? Pas d’idées ? Alors je vous le dévoile : je suis acteur. Je n’ai jamais tué personne ni jamais eu l’intention de le faire. Tout cela est le scénario du film dans lequel j’ai obtenu le premier rôle. Vous y avez cru ?

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