samedi 2 février 2013

N'oublie pas de te souvenir de moi

Première nouvelle écrite dans le cadre d'un concours. Bien évidemment je n'ai pas gagné. Je le reprends donc ici.
 
-Maman ! Maman ! Réveille-toi !
 Ma fille avait toujours été très matinale et se levait souvent avant moi.
-Maman, réveille-toi. Je vais être en retard à l’école.
Je me levai d’un bond et constatai avec effroi qu’il était déjà 8h15. Et, dans un quart d’heure, Sophie devait être dans sa classe. J’enfilai rapidement un jean et un t-shirt.
-On y va Sophie. Prends ton cartable et ton sac de sport.
- Mais Maman, le sport c’était hier !
- C’est vrai… Bon sang, mais où ai-je mis les clés de la porte ?
- Elles sont sur la porte. Ca va Maman ?
- Mais oui ma chérie. C’est juste que se lever aussi brutalement n’est jamais bien.
L’école était à 10 minutes à pied de notre maison. J’emmenais Sophie tous les matins puis, je partais travailler. Arrivées dehors, je me sentais terriblement fatiguée et je n’avais plus les idées claires. Je ne parvenais pas à me rappeler s’il fallait tourner à gauche ou à droite. Ne laissant rien paraître, je trouvai un moyen de m’en sortir.
-Ma chérie, nous allons jouer à un jeu. Tu vas me guider jusqu’à l’école en faisant comme si j’étais une touriste et que je découvrais la ville.
- Super ! Me dit Sophie, enchantée par cette mission de dernière minute. A tout hasard, je m’efforçai de mémoriser le trajet pour le retour. Tout se passa bien et je me sentis rassurée. Je n’étais pas complètement folle. Un simple passage à vide. Je regagnai la maison, pris ma voiture et partis rapidement au travail. La journée se passa sans autres incidents.
Le soir, je rentrai vers 19h. Sophie restait à l’étude après l’école et son père passait la chercher en rentrant du travail. Sophie m’accueillait toujours comme si elle ne m’avait pas vue depuis des mois.
- Ca a été à l’école ? Et ton interro ?
- Quelle interro ?
- Le poème que tu m’as récité hier soir. Celui avec une petite pomme qui s’ennuie seule dans son pommier !
- Maman, c’était l’an dernier en CE2 !
- Tu en es sûre ? J’ai l’impression que c’était hier… Le temps passe tellement vite. Un jour il faudra courir pour le rattraper. De l’humour, voilà ce qu’il me fallait pour me sortir de ce moment gênant.
- Bon, je sors le chien et après, on passe à table. Un risotto, ça vous dit ?
- Hélène, tu es sûre que tout va bien ? me dit mon mari.
- Bien sûr, je suis juste un peu fatiguée aujourd’hui.
- Tu viens de dire que tu sortais le chien, c’est cela ?
- Oui et alors ? Il faut bien que quelqu’un le fasse ?
- Sauf que Toby est mort l’an dernier !
- … Ce chien a vécu 14 ans avec nous et j’ai toujours l’impression qu’il fait encore partie de cette maison.
Que m’arrivait-il ? D’abord ce matin en allant à l’école puis, à nouveau, ce soir. Allez, une bonne nuit de sommeil et tout rentrera dans l’ordre, pensai-je.
Le lendemain fut une journée normale. Satisfaite, je rentrai chez moi en écoutant ABBA et en chantant à tue-tête. Toujours en chantonnant, je fermai la voiture et introduisit la clé dans la serrure. Du moins, essayai-je.
-« Saleté de porte », râlai-je en voyant que rien ne se passait. « Garde ton calme, il n’y a pas de raison qu’elle ne s’ouvre pas, ce matin elle fonctionnait encore parfaitement ». 
Plus facile à dire qu’à faire. Exaspérée, je lançai un coup de pied dans la porte. C’est alors que j’entendis un cliquetis et que la porte s’ouvrit. Avec stupeur, je découvris une femme inconnue. Mais, qui était-elle et que faisait-elle chez moi ?
-Madame, vous cherchez quelque chose ?
- Je voulais simplement entrer chez moi mais cette fichue clé… Mais là n’est pas le propos, que faites- vous chez moi ?
- Chez vous ? Vous avez dû faire erreur ! Vous êtes chez moi !
- Mais non j’habite ici depuis mon mariage !
- Impossible Madame. Rendez-vous à l’évidence votre clé ne fonctionne pas car vous êtes à la mauvaise adresse.
Je constatai que cette personne disait vrai et je partis en me confondant en excuses. Je réalisai qu’il s’agissait de notre ancien domicile que nous avions quitté après la naissance de Sophie. Que se passait-il, pourquoi tout d’un coup le passé venait se mêler au présent.
Finalement chez moi, je ne dis pas un mot de cette mésaventure à mon mari et à ma fille. Ils allaient encore me dire que je les inquiétais, que ce n’était pas normal et que j’avais besoin de voir un médecin.
Le lendemain, il faisait beau et je décidai d’ailler me promener après avoir déposé Sophie à l’école.
-A ce soir ma chérie, n’oublie pas, ce soir c’est mamie qui vient te chercher à l’école.
Sophie fit un grand sourire, ravie de constater que sa maman n’oubliait pas tout, avant de s’engouffrer dans le bâtiment. Je lui fis un dernier signe.
Me voilà seule, marchant dans les rues, le nez en l’air pour profiter des rayons du soleil. Rien de plus agréable après cet hiver calamiteux. Je décidai de faire un tour au marché afin d’acheter de quoi préparer un bon repas pour l’arrivée de Maman ce soir. J’étais devant l’étal du poissonnier quand mon téléphone sonna.
-Hélène, ça va ? Tu es malade ? C’était Alexandra la secrétaire de mon service.
- Non Alexandra, tout va bien. Pourquoi ?
- Tu avais une réunion avec le directeur à 10h et là il est déjà 11h.
- Mon Dieu, tu as raison ! J’arrive tout de suite.
De mieux en mieux ! J’avais carrément oublié d’aller travailler. Qu’est ce qui clochait la haut ? Jusqu’où cela pouvait-il aller ?
-Sophie ! Ca va ma puce ? Maman ! Je suis si heureuse de te voir. Comment vas-tu ?
- Très bien Hélène. Tu ne m’avais pas dit que Sophie avait autant grandi !
- Oui, c’est vrai. Elle va bientôt me rattraper à ce train-là.
Nous ne nous étions pas vues depuis Noël et la perspective d’avoir ma mère avec nous quelques jours me rendait particulièrement joyeuse. Pour un peu, j’en aurai presque oublié les récents évènements si ma mémoire ne m’avait pas à nouveau joué des tours.
Nous en étions au dessert lorsque ma mère me dit : « Tiens, j’ai croisé Vanessa la semaine dernière. Elle m’a annoncé qu’elle était enceinte. Je suis si contente pour elle, après tant de difficultés ».
-C’est très bien mais je ne connais pas cette Vanessa dont tu me parles, maman.
- Mais bien sûr que si, Hélène ! Enfin, Vanessa, ta meilleure amie à l’université.
- Je n’ai jamais eu d’amie s’appelant Vanessa, Maman. Tu dois confondre.
- Non, non, vous étiez même parties ensemble en Grèce, un été. Tu es sûre que tu vas bien ?
-Mais oui, pourquoi toujours me poser cette question. Ca arrive à tout le monde d’oublier, non ?
- Je veux bien mais quand même…
L’incident était clos.
Avant de se coucher, Sophie avait l’habitude de me lire une histoire. Depuis qu’elle savait lire, nous avions en effet, inversé les rôles. Arrivée à la fin du chapitre, elle s’enfonça dans son lit et me regarda fixement avant de dire : « N’oublie pas de te souvenir de moi, Maman ».
-Bien sûr que non Sophie. Comment peux-tu dire ça !
- C’est que… tu as oublié l’une de tes meilleures amies alors, j’ai peur que moi aussi tu m’oublies dit-elle les yeux embués.
Cette réaction de ma fille me fit prendre conscience et finalement, je consultai un médecin pour lui raconter ces curieux derniers jours.
-Voilà docteur, fis-je après lui avoir tout raconté. Y-a-t-il une raison de s’inquiéter. Que dois-je faire ?
-Madame Chevalier. Vous souffrez de la malade d’Alzheimer.
-Alzheimer ? Mais enfin docteur, je n’ai que 38 ans !
- Non Madame, vous n’avez plus 38 ans mais 58. La maladie apparaît chez des patients très jeunes. Vous avez été diagnostiquée il y a 20 ans et…
- C’est impossible ! Il y a quelques jours tout allait bien. Je suis justement venue vous voir pour vous l’expliquer.
-Je suis désolé Madame Chevalier, mais ce que vous venez de me raconter a eu lieu il y a déjà 20 ans. J’ai appelé votre fille, ne vous inquiétez pas, elle va venir vous chercher et vous ramener chez elle.
-Ma fille ? Mais docteur, je n’ai jamais eu de fille.

1 commentaire:

  1. Il aurait été tellement dommage de laisser ce texte au fond d'un disque dur à cause d'un concours raté.
    Il aurait évidemment sa place ailleurs sur une autre plateforme pour une plus grande visibilité.
    C'est poignant.

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