vendredi 27 septembre 2013

L'Inconnue du métro





Isaure sort du travail. Elle prend le métro et s’arrête quatre stations plus loin pour faire une course. Elle est partie un peu plus tôt, histoire de profiter davantage des siens. Dans les couloirs du métro, elle marche d’un pas rapide. À un angle, un choc interrompt le programme tout tracé qui figure dans sa tête. Elle vient de percuter une femme. Cette manie qu’elle a de toujours marcher le long des murs ! Dans la collision, les deux femmes ont fait tomber leur sac qu’elles tenaient à bout de bras. Isaure ramasse le sien et tend l’autre à sa propriétaire en lui demandant si tout va bien. Elle obtient un simple hochement de tête en guise de réponse. Isaure se confond en excuses tandis que celle qui se trouve en face d’elle esquisse un sourire gêné et s’éclipse sans dire un mot, ni même râler, ce qui est pourtant une habitude dans ces contrées souterraines. Isaure hausse les épaules et repart de plus belle, direction le supermarché. Il lui faut une salade pour accompagner les aubergines à la parmigiana qu’elle a prévu de faire pour le dîner. Sans salade, n’en déplaise à ses ados qui rejettent aussi bien l’autorité que tout ce qui est vert, le plat est moins savoureux. Au passage, elle attrape quelques bricoles et se dirige vers la caisse moins de 10 articles.


-          Ça fera 8 euros et 23 centimes, annonce la caissière sur un ton monocorde.
-          Oui, dit Isaure tout en fouillant dans son sac à la recherche de son portefeuille.
-          Vous réglez comment, Madame ?
-          Par carte, mais… une minute… je… je…
-           Les gens attendent, Madame.

Pourquoi faisait-il toujours aussi noir dans un sac ? Isaure en brasse le contenu et tente de localiser son portefeuille par le toucher, mais rien. Elle finit par sortir différents objets et constate avec effroi qu’ils ne lui appartiennent pas. Elle les pose sur le tapis de la caisse pour essayer de comprendre. Le sac est le même que le sien, mais pas ce qu’il y a dedans.


-          Il y a un problème, Madame ?
-          C’est juste que… Oh et puis tenez, dit-elle en prenant un billet de 10 euros dans le portefeuille violet qui se trouve sur le tapis.
-          Vous avez la carte de fidélité ?
-          Oui, enfin non… pas aujourd’hui.

La caissière lève les yeux au ciel. Isaure voit sur son badge fixé sur son gilet sans manches aux couleurs de l’enseigne du supermarché qu’elle s’appelle Norma, comme Marilyn Monroe songe-t-elle. Cette dernière lui tend son ticket de caisse tout en mâchant ostensiblement son chewing-gum et lui souhaite, sans y croire, une bonne soirée.

En sortant, Isaure saisit la carte de transports qu’elle a aperçu dans le sac et monte dans son train de banlieue. Elle avisera ce qu’il convient de faire. Une fois chez elle, elle prendra sa voiture et se rendra à l’adresse indiquée sur la carte d’identité en sa possession. Les deux femmes échangeront de nouveau leur sac et tout ira bien. Isaure s’en persuade. Elle constate que l’inconnue du métro s’appelle Chantal et qu’elle habite à l’autre bout de la banlieue parisienne, du côté Est. Alors qu’elle épluche les différents éléments présents dans le portefeuille, le train s’arrête soudainement. La voix du conducteur se fait entendre. « Madame, Monsieur… incident… patienter…compréhension ». Aux passagers de remplir les trous. Ils patientent. Une autre annonce, plus claire, précise qu’il y a eu un accident de personne et que les secours sont en cours d’intervention. L’attente est interminable. Il est insupportable de penser à ce qu’il se passe dehors et d’entendre les passagers autour se plaindre et d’y aller de leurs commentaires odieux et égoïstes. Il y avait une personne derrière tout ça, une vie qui avait pris fin de façon tragique. Isaure fouille dans le sac à la recherche d’un téléphone pour prévenir les siens mais pas la trace du moindre téléphone et puis même si ça avait été le cas, il aurait été verrouillé et elle n’aurait pu s’en servir. La technologie c’était bien mais elle avait ses limites. Elle demanderait bien à un passager de lui prêter un téléphone juste une minute mais elle se souvenait qu’elle-même disait toujours non lorsqu’il lui arrivait qu’on le lui demande. Les visages fermés en face d’elle ne l’encouragent pas à le faire.

En attendant, Isaure imagine sa famille guettant son retour. Elle voit Jan, son mari appuyant sans compter sur la touche « bis » du téléphone et laissant un premier message, puis deux, puis trois, puis d’autres teintés d’énervement, d’impatience et d’inquiétude. Ce n’était pas normal qu’elle ne décroche pas, elle qui était toujours collée à son téléphone.

Il fait nuit depuis un bon moment lorsqu’Isaure remonte sa rue. Elle est harassée et aussi défraîchie que sa salade pendant au bout de son bras.

Nous sommes le 8 décembre, c’est un jeudi. Bientôt le week-end. Il va falloir penser à acheter un sapin de Noël. Un qui ne perd pas ses aiguilles. Il y a déjà assez de poils de chat un peu partout. Voilà à quoi elle pense en regardant la maison des voisins, toujours illuminée dès les premières heures de décembre.

-          Vous ne devinerez jamais ce qui m’est arrivé, lance-t-elle en franchissant la porte tout en se débarrassant de ses affaires.

Elle se retourne et elle les voit. Son mari et ses trois enfants sont dans le salon. Ils ont les yeux rouges, le visage livide, les veines saillantes, gonflées de chagrin.

-          Que… que… se passe-t-il ? bégaye-t-elle.
-           On nous a dit que tu étais morte. On a retrouvé ton sac en haut du pont duquel une femme s’est... Toutes tes affaires étaient dedans. Je ne comprends rien, parvient-il à dire avant d’éclater en larmes et de la serrer dans ses bras.

Tout se rembobine dans la tête d’Isaure. La femme qu’elle avait croisée tout à l’heure, cette rencontre fugace, cette inconnue qui n’en était plus une, était morte. Pendant un temps, aux yeux des autres, Isaure avait été ce corps sans vie. Plus tard, elle trouvera une feuille pliée en quatre dans le fond du sac de Chantal. Ses derniers mots y sont couchés. Une larme d’Isaure viendra s’y poser et déformera le premier mot. Celui de la fin.

1 commentaire: